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ABBAYE CISTERCIENNE SAINTE MARIE DE BOULAUR

La lectio divina racontée sous forme de conte

Pour expliquer ce qu’est et ce que produit la lectio divina, une de nos soeurs a écrit une petite histoire. Découvrez en quelques lignes l’expérience d’un personnage fictif, frère Benoît, un moine qui plonge dans la vie divine grâce à ces temps de prières et de méditation.

12 janvier 904, Saint Benoît sur Loire
Frère Benoît sourit avec un brin de fierté devant la page qu’il vient de terminer, commencée il y a plus d’une heure. Il ne sent plus ses pieds ni ses oreilles et son bras gauche est largement ankylosé de sa longue immobilité. Mais frère Benoît a l’habitude : sans le moindre bruit, il remue doucement ses membres pour y faire circuler le sang. Il est dans la seule pièce chauffée de l’abbaye, mais il met tant d’ardeur à la copie qu’il en oublie son propre corps ! Une douce joie l’envahit : il vient d’achever avec cette page le livre d’Osée. Combien en a-t-il déjà copié en ses trente-sept années de vie monastique ? Il est bien incapable de le dire, mais chaque manuscrit de plus participera à l’édification de ses frères, des prêtres, et du peuple tout entier, en un mot de l’Eglise. Il la connaît par cœur, à force, cette parole de Dieu, et ne cesse de la méditer, de la réciter, de la chanter et d’en vivre. Il n’y a cependant pas de temps à perdre, et dans la clarté du soir qui décline déjà, frère Benoît saisit un nouveau parchemin et commence le livre suivant. Combien de temps encore aura-t-il cette joie de servir le peuple de Dieu par son travail ? Chaque livre terminé pourrait être le dernier, il le ressent de plus en plus. Non pas qu’il soit vieux, mais ses yeux s’éteignent peu à peu d’avoir tant travaillé à la faible lueur d’une lampe ou du jour qui filtre par la fenêtre. A ces pensées, son cœur bondit de joie et s’écrie :

« Que m’importe, ô mon Dieu, si je cesse de voir ? Ta parole n’est-elle pas la lampe de mes pas ? Oh oui, elle est cette douce lumière qui m’indique pour chaque jour le chemin à suivre. Que m’importe de ne plus voir tant de beautés ? Ta parole, ô mon Dieu, a plus de saveur dans ma bouche que le miel, et plus d’éclat à mes regards que Salomon dans toute sa gloire. Toutes ces années, j’ai enseigné ton peuple par ta parole en la copiant ; je vais à présent les nourrir en la méditant. Comme de très petits oiseaux, je les nourrirai de ces mots mâchés et remâchés, sans cesse ruminés dans mon cœur, et à présent tout à fait digestes »

Oh, ce chemin n’avait pas été simple. Les premières copies avaient semblé si longues au moine ! Et si peu utiles, pour un peuple qui ne savait pas lire ! Ce n’est qu’au bout de plusieurs mois, à force de patience, de confiance et d’obéissance qu’il avait commencé à goûter son travail et à l’aimer. Des passages entiers lui revenaient lors de la copie ou au cours de sa journée, de la manière la plus naturelle du monde, il s’était mis à la réciter. Les épisodes qui l’avaient d’abord scandalisé s’étaient éclairés à la lumière d’autres passages et avaient obtenu une limpidité et une profondeur surprenantes. Son Père-Maître, autrefois, lui avait appris à lire, il ne saurait jamais l’en remercier assez : par cette lecture, il avait pu apprendre à prier auprès de David et de Tobith, il avait appris à supplier avec Anne et son fils Samuel, il avait appris à rendre grâce avec le Christ et les Apôtres, il avait même appris à râler avec Moïse ! Désormais, chaque mot qu’il en lisait le plongeait dans une profonde contemplation du mystère de Dieu qui se révèle à l’homme.

Devenu incapable de s’en détacher, Frère Benoît était tombé littéralement amoureux de la parole de Dieu ; elle lui était plus chère que sa propre famille, plus chère que sa vie. Il avait, en un mot, découvert ce trésor et cette perle dont parle l’Évangile, et c’était l’Évangile lui-même, annoncé par l’Ancien Testament et éclairé par le Nouveau.

Publié en octobre 2023