Le 28 janvier 1975, jour des obsèques de Claire, plusieurs prêtres amis et beaucoup de monde viennent entourer la famille au complet. Son beau-frère Joël dit une prière : « Prions pour nous tous, que Dieu a voulu rassembler ici, et pour tous ceux qui, proches ou lointains, ont eu le désir de joindre leurs prières aux nôtres. Les parents de Claire, son parrain et sa marraine, ses frère et sœurs, ses filleuls et ses nombreux amis. Qu’en nous séparant, ce soir, chacun de nous emporte dans son cœur la flamme du même brasier et répande à son tour la seule vraie lumière…«
Les premiers témoignages
De nombreux témoignages ont été recueillis sur ces obsèques émouvantes. Les gens sont à la fois frappés de consternation et en même temps, un sentiment plus fort que la peine les saisit, une sorte d’étonnante joie. Une dame du village rapporte : « Jamais je n’ai senti d’une manière aussi intense la présence de Dieu et le rayonnement de la sainteté, on en était comme enveloppé. A la sortie, j’eus envie d’écrire sur le cahier disposé pour les signatures : « Merci Claire », mais je n’ai pas osé. Qu’aurait-on pensé ? » Les enfants aussi sont frappés. Jérôme, 9 ans, dit en parlant des parents de Claire : « Ils ont bien de la chance ». Un autre enfant du même âge dit de la célébration : « C’était comme une fête ».
En rentrant chez eux, ce soir-là, quand la famille émue les a quittés, les parents font ensemble, en silence, un petit pèlerinage dans la chambre d’enfant de Claire. Sur son bureau se trouve un ultime message. Un carton, que personne n’a lu encore, où Claire a écrit, en grandes lettres, d’une main ferme et facétieuse : C’est au poil, la vie !
Le jour-même de l’enterrement de Claire, une amie des Castelbajac vient leur glisser à l’oreille, pour soutenir leur espérance, le fait suivant : elle a invoqué Claire pour une situation sans issue. Dans les minutes qui ont suivi, et de manière étonnante, elle a reçu, par téléphone, l’annonce que les choses s’étaient dénouées et que tout était arrangé.
Puis il y a eu l’abondance des lettres de condoléances. Il en arrive de partout, de Toulouse, de Rome, d’Assise. « Je suis confondue, écrit une amie, le Seigneur vous a laissé juste le temps de dire oui. Confondue aussi par la destinée de Claire, tout à fait exceptionnelle : elle n’aura été que joie de vivre, et certainement dans le Seigneur. » Une autre amie : « Claire a conquis d’un seul coup la couronne que tant d’autres ne reçoivent qu’au bout de longues années. Elle ne vous a donné que des joies à tous les deux. Bien peu de parents pourraient en dire autant… » Une amie de Claire, encore : « Je suis restée longtemps figée, révoltée, avant de réaliser que depuis longtemps déjà Claire était prête à ce grand cadeau, à cette grande joie qui la guidait et que Dieu la récompensait grandement… »
Plusieurs personnes demandent qu’un livre soit écrit
Monsieur et Madame de Castelbajac sont réconfortés par ces témoignages, mais aussi un peu bouleversés. Joie, cadeau, lumière : mais que veulent dire tous ces gens ? Et puis, voilà que dans les semaines qui ont suivi le décès de Claire des personnes de plus en plus nombreuses ont raconté à Louis et Solange de Castelbajac qu’ils priaient Claire le soir en famille, qu’ils avaient été exaucés en l’invoquant, qu’ils la donnaient en exemple à leurs filles, qu’ils venaient prier sur sa tombe, etc. Plusieurs demandent que le souvenir de Claire ne tombe pas dans l’oubli, qu’un livre soit écrit. Mieux encore, un groupe de jeunes étudiants de Toulouse demande aux parents de Claire la permission d’ouvrir sa cause de béatification, un « postulateur » parmi les Pères capucins a déjà été proposé. Nous sommes en mai 1976 et les Castelbajac ne veulent rien savoir de cette demande, ils sont cependant touchés par le sérieux du jeune qu’ils rencontrent à cette occasion et la profondeur spirituelle dont il témoigne.
Solange de Castelbajac, entre temps, a parlé à son frère carme, le Père Philippe de la Trinité, de tout ce qu’elle a entendu et vu elle-même. Son frère lui intime : « je te fais un devoir de conscience d’écrire sur ta fille, cela portera des fruits spirituels. » Madame de Castelbajac se met donc au travail et à Noël 1977, après avoir fait relire l’ouvrage par son mari et avoir reçu son approbation, elle fait publier le premier livre sur leur fille : un recueil de lettres, classées par thèmes. Ces premiers livres sont donnés gratuitement aux amis et à la famille, le tout a été financé par l’argent que Louis et Solange avaient mis de côté pour l’installation professionnelle de Claire après ses études. Le livre est distribué sans difficulté, et l’on demande une réédition qui sera vendue cette fois car il n’y a plus d’argent pour cela à Lauret.
« Votre fille ne vous appartient plus, elle appartient à l’Église ! »
En avril 1979 un prêtre jésuite de Toulouse, le Père Bernard de Guibert, vient à Lauret. Il est surpris par l’impact de Claire sur la jeunesse, surpris par les conversions qu’il constate, il veut en savoir plus, en avoir le cœur net. Il passe la journée sur place et parle plusieurs heures durant avec Mme de Castelbajac. Il apprend entre autres que, par discrétion, elle n’a jamais envoyé le livre écrit sur sa fille à l’archevêque d’Auch. « Comment, s’écrie le Père, mais il est le pasteur de votre diocèse et doit savoir ce qui s’y passe » ! Dès le lendemain, Madame de Castelbajac met le livre au courrier et Mgr Maurice Rigaud le lit dès réception, d’un trait. Il écrit à Mme de Castelbajac par retour de courrier : « Comme je vous remercie de m’avoir envoyé ce livre sur votre fille Claire ! Ayant du temps ce matin je l’ai parcouru et n’ai pu m’en détacher pendant plus d’une heure ! Quelle fraîcheur d’âme et en même temps quelle force de caractère ! Et quelle précocité, aussi bien au plan naturel que surnaturel ! J’ai apprécié surtout ses extraits de notes et ses lettres, en deuxième partie. Je n’ai qu’un regret : ne pas l’avoir connue ! Vous avez eu mille fois raison de rassembler tous ces souvenirs dans un ouvrage, qu’il faut faire connaître… Surtout aux jeunes, qui ont tant besoin de modèles, d’exemples à suivre… J’irai jusqu’au bout de ma pensée : d’après ce que je viens de lire, je puis vous dire que votre fille était une sainte et qu’elle est canonisable. Il en sera ce que la Providence voudra… » Madame de Castelbajac interroge Mgr Rigaud : « Et si vous vous trompez ? » Monseigneur répond : « Nous ne nous trompons pas en proposant puisque c’est l’Église qui décide et vous ne vous trompez pas en nous obéissant, alors on continue, et mettez vous bien dans la tête que votre fille ne vous appartient plus, elle appartient à l’Église ! »
La visite de l’Abbé général des Cisterciens à Boulaur
En septembre 1979, à l’abbaye de Boulaur, dans le Gers, à 30 km de Lauret, les sœurs ont lu, elles aussi, le livre et elles s’interrogent sur Claire, tant et si bien que lors de la visite régulière de Dom Sighard Kleiner, Abbé Général de l’ordre cistercien, Mère Pia, la supérieure de la communauté lui donne le livre sur Claire et lui demande son avis. Dom Kleiner le prend en répondant : « Dans tous les monastères où je passe on me fait lire la vie d’une sainte âme… ».
Cependant, le lendemain matin, au petit déjeuner, après avoir lu le livre une partie de la nuit sans pouvoir s’en détacher, il dit aux deux sœurs qui le servent : « Cette petite est canonisable. Je vais cet après-midi voir Monseigneur votre Archevêque ». La communauté de Boulaur souffre d’une pénurie de vocations depuis trente ans et la situation est de plus en plus préoccupante. En quittant les sœurs à la fin de son séjour, il leur dit avec confiance qu’il faut prier Claire pour les vocations de Boulaur. Mais la situation ne s’arrange pas, du moins pas tout de suite.
Dom Sighard achève quelques semaines plus tard la lecture complète du livre : « Je viens de terminer « Claire de Castelbajac » quelle puissance d’amour ! Enviable ! Je lui recommande d’ailleurs fortement Boulaur. » Il devient l’interlocuteur romain idéal pour Mgr Rigaud et ils réfléchissent ensemble à l’ouverture d’une procédure de béatification. Mais voilà, Dom Kleiner veut un signe du Ciel : on ne se lance pas facilement dans ce genre de démarches. En juin 1981 il écrit aux sœurs de Boulaur : « Après y avoir beaucoup réfléchi, je demande à Claire de Castelbajac de vous envoyer cinq vocations cette année ! Je lui demande ce signe de sa puissance d’intercession auprès du Seigneur. Nous en parlerons à la fin du mois lorsque je serai à Boulaur, afin que toute la communauté se joigne à moi. » Il convoque les sœurs au chapitre et leur demande de prier Claire. C’est de la folie pour la supérieure et les sœurs de la communauté, mais c’est l’Abbé Général : alors il s’agit d’obéir ! Le résultat ne se fait pas attendre, dans l’année cinq jeunes filles demandent à entrer dans la communauté, la première s’appelle… Claire !
Son rayonnement se poursuit près de 50 ans plus tard !
Claire est de plus en plus connue, aimée, priée… Le nombre de personnes venues se recueillir auprès de son tombeau, qui se trouve désormais au fond de l’église abbatiale de Boulaur, ne cesse de croître. Si Claire marque de toujours plus nombreuses personnes à l’heure actuelle, après plus de 40 ans, c’est bien parce qu’elle continue à être missionnaire : son exemple donne à nos contemporains un profond témoignage, qui leur montre et leur ouvre un chemin de bonheur, à la fois simple, droit et accessible.